La salle virtuelle au sous-sol

Thomas Nescher, chercheur à l'ETH, a développé un système qui permet de marcher réellement et librement dans des environnements virtuels. Cela permet de tester à l'avance et sous toutes les coutures des plans de bâtiments ou de chaînes de production.

Vue agrandie : espace virtuel
Markus Zank voit sur le Head Mounted Display une image tridimensionnelle d'un environnement virtuel qu'il explore en marchant réellement dans une cave. (Image : Peter Rüegg / ETH Zurich)

La porte est ouverte, un feu de cheminée crépite à droite, le soleil brille dehors devant la porte, des papillons passent. Le sol est recouvert de plaques d'argile. Le plafond est en bois, d'imposantes poutres soutiennent le toit. Quelques pas seulement, puis on se retrouve sur la terrasse, on voit des arbres et des collines vertes. Après une courte pause, on peut tourner à droite au coin de la maison de campagne. Une vue sur la mer, avec des mouettes qui tournent au-dessus des vagues, s'offre à nous depuis la falaise. Puis on enlève ses lunettes. Et au lieu de se trouver devant un domaine en Italie, on se retrouve dans une pièce de sept mètres sur douze dans le sous-sol du bâtiment CLA de l'ETH Zurich. Des tubes au néon éclairent froidement le plafond, des dalles noires au sol, des murs en briques grises apparentes. L'illusion d'avoir traversé rapidement une maison en Toscane était presque parfaite.

Marcher réellement dans un monde virtuel

Thomas Nescher est doctorant au sein de l'Innovation Center Virtual Reality (ICVR), dirigé par Andreas Kunz à l'Institut pour les machines-outils et la fabrication (IWF). Ces dernières années, il a développé un nouveau système qui permet de "marcher réellement dans des environnements virtuels" (en anglais : Real Walking in Virtual Environments, ReWaVE). Ce système permet à un utilisateur d'explorer un environnement virtuel sans aucune limitation ressentie, en marchant réellement dans un espace réel beaucoup plus petit.

Les environnements virtuels ne sont pas nouveaux en soi. Les simulateurs de vol, les jeux informatiques comme les Sims ou encore les systèmes de rééducation ont permis de s'immerger dans des réalités numériques, par exemple pour apprendre certaines compétences. Il existe également déjà des systèmes qui simulent une marche presque réelle grâce à l'utilisation de "treadmills". De tels systèmes sont toutefois coûteux et ne donnent pas la sensation d'une véritable marche.

Une illusion presque parfaite grâce à un algorithme intelligent

Pour se promener dans les mondes virtuels de ReWaVE, il faut relativement peu d'accessoires : un Head-Mounted Display (HMD) avec un appareil de mesure de la position orienté vers le plafond et un ordinateur portable qui est transporté sur un support. Il faut également trois marques de référence circulaires noires et blanches par mètre carré de plafond ainsi que l'algorithme développé par Nescher.

Les marquages au plafond servent à l'appareil de mesure sur le HMD à reconnaître la position de l'utilisateur ainsi que ses mouvements de tête. Ces données sont analysées en temps réel dans l'ordinateur portable. Sans retard perceptible, la personne qui marche voit l'environnement virtuel calculé par l'ordinateur et introduit dans le HMD.

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Une redirection astucieuse

Tant que l'espace virtuel n'est pas plus grand que l'espace réel, son exploration ne pose pas de problème. "Pour pouvoir parcourir un monde virtuel plus grand dans un espace limité, il faut toutefois quelques astuces", explique Nescher.

L'astuce la plus importante est ce que l'on appelle la redirection. Elle empêche l'utilisateur de percuter un mur dans le monde réel. Pour qu'il puisse se promener dans l'environnement virtuel avec le moins de perturbations possible, différentes méthodes de redirection doivent être planifiées intelligemment à l'avance. Pour cela, le système doit savoir où se trouve l'homme dans l'espace réel et quelles directions de déplacement lui offre le monde virtuel. En principe, la "compression" d'un chemin d'un grand espace virtuel vers un petit espace réel est alors un problème de régulation. L'algorithme évalue les futures trajectoires de l'utilisateur et calcule en temps réel la meilleure manière de le maintenir à l'intérieur de l'espace réel.

Via les informations d'image dans le HMD, le logiciel contrôle les mouvements de l'utilisateur, et ce en fonction de l'endroit où il se trouve dans l'espace réel et de l'endroit où il est supposé se rendre dans le monde virtuel. La trajectoire est continuellement modifiée de manière à ce que l'utilisateur ne se heurte pas à des murs réels.

Ainsi, lorsque l'utilisateur tourne à un angle, l'algorithme peut l'inciter à ne se tourner que de 70 ou même de 135 degrés au lieu de 90. Il a néanmoins l'impression d'avoir effectué une rotation de 90 degrés. Tout cela a pour conséquence que l'utilisateur emprunte dans l'espace réel un chemin incurvé qui diffère du chemin parcouru virtuellement.

Les méthodes de redirection imperceptibles ont toutefois leurs limites. Si elles sont dépassées, l'utilisateur s'en apercevrait. Si une redirection imperceptible ne suffit plus à maintenir l'utilisateur dans l'espace réel, une autre méthode est utilisée. Cette méthode amène l'utilisateur à tourner autour de son propre axe. Pour cela, l'algorithme affiche par exemple une flèche dans la direction de laquelle il faut tourner une fois. Cela permet d'amplifier la rotation et donc d'orienter l'utilisateur de manière optimale dans l'espace réel. Il peut ainsi continuer à avancer sur le même parcours virtuel sans interruption perceptible.

Visiter virtuellement des maisons

Se déplacer dans un monde virtuel peut paraître ludique. Mais Thomas Nescher voit déjà des applications pour son travail. ReWaVE pourrait être intéressant pour les architectes, qui pourraient ainsi marcher virtuellement sur leurs projets avant leur réalisation réelle et découvrir ainsi les points faibles de leurs plans. Pour les entreprises industrielles, le logiciel de Nescher est également une possibilité attrayante pour tester virtuellement des lignes de production planifiées avant de les construire. Jusqu'à présent, ces entreprises créaient des modèles de lignes de production dans des entrepôts afin d'étudier les aspects ergonomiques, de sécurité ou de temps. Les environnements virtuels pourraient remplacer ces modèles à l'avenir. De premières entreprises comme Daimler et Bosch ont déjà été attirées par le système de Nescher.

Le développement de ReWaVE n'est pas encore terminé. Bientôt, les jambes et les bras de l'utilisateur seront intégrés dans le monde virtuel, de sorte qu'il pourra les voir en marchant. Le successeur de Nescher à l'ICVR/IWF, le doctorant Markus Zank, poursuivra le travail sur ce système. Au cours de son travail de master, Zank a travaillé à l'intégration de bruits de pas appropriés, tels que le crissement de gravier, dans le monde virtuel afin de renforcer l'impression de marche réelle. À l'avenir, d'autres recherches fondamentales seront nécessaires pour étudier comment mieux prédire le comportement humain en matière de marche. Cela devrait permettre de planifier encore mieux la redirection.

Référence bibliographique

Nescher T, Huang Y-Y & Kunz A. Planning Redirection Techniques for Optimal Free Walking Experience Using Model Predictive Control. Symposium on 3D User Interfaces, IEEE, mars 2014, accepté pour publication.

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