Système d'organes en gouttes suspendues

Les chercheurs tentent d'aller au fond du corps humain et de ses différents types de cellules à l'aide de cultures cellulaires. Une technologie récemment développée à l'ETH Zurich permet désormais de créer un réseau de microtissus sphériques simulant le corps dans des gouttes suspendues et de tester ainsi des substances actives dans des conditions proches de la réalité.

Vue agrandie : hanging drops (gouttes suspendues)
Les chercheurs connectent judicieusement des microtissus en série les uns derrière les autres et peuvent ainsi tester différentes concentrations de substances. (Photo : Olivier Frey / ETH Zurich)

Les scientifiques utilisent de manière standard des cultures cellulaires pour tester des substances actives ou des poisons. Jusqu'à présent, les cultures cellulaires bidimensionnelles sur des substrats plats dominaient, ce qui présentait des inconvénients majeurs : Les couches de cellules sur les surfaces sont différentes, tant dans leur morphologie que dans leur métabolisme, des cellules dans l'organisme vivant, où les structures tridimensionnelles prédominent.

C'est pourquoi les chercheurs ont développé des plateformes à gouttes suspendues : au lieu de cultiver des cellules dans des bacs plats, ils les cultivent dans des gouttes de solution nutritive suspendues et disposées régulièrement. Dans ces gouttes, les cellules se transforment en microtissus sphériques, appelés sphéroïdes, d'environ un demi-millimètre de diamètre. La tension superficielle du liquide maintient la goutte en position suspendue et entoure le sphéroïde. A l'intérieur de la goutte, les cellules sont en contact intensif les unes avec les autres et peuvent communiquer entre elles. La morphologie et le comportement sont très proches des formes cellulaires réelles. Les cellules cardiaques, par exemple, se mettent à battre de manière rythmique après s'être regroupées en sphéroïde.

Des gouttes reliées entre elles

Le chercheur de l'ETH Olivier Frey, du groupe d'Andreas Hierlemann, professeur d'ingénierie des systèmes biologiques au Département des systèmes biologiques (D-BSSE), a maintenant développé, à partir d'une plateforme de gouttes suspendues isolées, un réseau de gouttes reliées entre elles. Il les a reliées à la manière d'une grille par des canaux très fins. Grâce à ces canaux, les sphéroïdes ou microtissus de chaque goutte sont reliés entre eux par des flux de liquide, ce qui permet aux tissus de communiquer entre eux comme dans un organisme vivant.

Vue agrandie : hanging drops scheme
Grâce à un système d'alimentation spécial, les chercheurs peuvent appliquer une concentration différente d'une substance souhaitée dans chaque rangée de gouttes. (Image : Olivier Frey / ETH Zurich)

Les gouttes sont alimentées en continu par une solution nutritive qui est injectée dans les canaux par une pompe. Une collerette sur le bord du canal empêche le liquide de s'échapper du canal et d'inonder la plateforme. L'alimentation en solution nutritive se fait de manière à ce que les gouttes restent de taille identique. Si une trop grande quantité de solution était pompée, elles tomberaient. Cela a permis à Frey de concevoir le système sans couvercle étanche à l'air, ce qui simplifie considérablement la fabrication et l'exploitation de la nouvelle plate-forme. Les cultures cellulaires doivent toutefois être conservées comme auparavant dans un incubateur à humidité élevée contrôlée.

La vision "body-on-a-chip" se concrétise

Grâce à des conduites d'alimentation, les chercheurs peuvent également fournir au système des substances actives à tester à des concentrations spécifiques. L'agencement de ces conduites d'alimentation, des canaux et des gouttes permet de générer des concentrations de substances actives différentes d'une rangée à l'autre, de sorte que, considéré sur l'ensemble de la plateforme, un gradient de concentration est créé.

Dans ce système, qui vient d'être présenté dans Nature Communications, les chercheurs de D-BSSE peuvent, en une seule opération, disposer plusieurs sphéroïdes de différents types de cellules dans des ordres tels qu'on les trouve dans le corps et les exposer à différentes concentrations d'une substance. Les scientifiques peuvent ainsi reproduire un système multi-organes sur une plaque de manière proche de la réalité. "Nous avons ainsi réalisé un système body-on-a-chip de manière relativement simple", se réjouit Frey, qui a travaillé pendant deux ans sur cette plateforme de test.

Cellules hépatiques liées à des cellules cancéreuses

Les premiers tests sur des sphéroïdes de cellules hépatiques et cancéreuses se sont révélés prometteurs. Frey et ses collaborateurs ont placé dans une rangée trois gouttes de cellules hépatiques, puis la quatrième de cellules cancéreuses. Une fois que les cellules se sont organisées en sphéroïdes, il a introduit un cytostatique, c'est-à-dire une substance qui inhibe la croissance cellulaire, dans le dispositif de test à des concentrations différentes pour chaque rangée.

La substance active utilisée ne tue les cellules cancéreuses que si des cellules hépatiques l'activent au préalable. Les chercheurs ont pu reconstituer cet effet. En même temps, ils ont observé à partir de quelle concentration la toxine agit sur les cellules cancéreuses et à partir de quand les cellules hépatiques commencent à en souffrir. Si les cellules hépatiques faisaient défaut dans le système, le médicament n'avait, comme prévu, aucun effet sur les cellules cancéreuses aux concentrations correspondantes.

Système en cours d'inscription pour un brevet

Frey et ses collègues ont déposé une demande de brevet pour leur nouvelle plateforme de test. Celle-ci est relativement simple et bon marché à fabriquer. Il faut un moule négatif en silicium, fabriqué en salle blanche. Il est ensuite possible d'en faire des moulages bon marché à l'aide d'un polymère. Pour les grandes quantités, il est également possible d'utiliser un procédé de moulage par injection, dans lequel une seule plateforme ne coûte que quelques centimes. Les chercheurs bâlois ont développé la fabrication des microtissus pour la plateforme en collaboration avec la société InSphero, un spin-off du D-BSSE.

Les entreprises pharmaceutiques qui souhaitent vérifier l'efficacité et les effets secondaires indésirables de nouvelles substances actives devraient être intéressées par ce système. Le nouveau système permet de le faire de manière rapide, flexible et simple. "Notre système sera intéressant pour les entreprises pharmaceutiques, car elles obtiendront très tôt des indices réalistes leur permettant de savoir si une nouvelle substance est potentiellement nocive", souligne Frey. Il serait par exemple possible de tester, dans une phase précoce de développement, comment et si un nouveau médicament pour le cœur a des effets sur le foie.

Dans une étape ultérieure, les chercheurs bâlois souhaitent équiper leur plateforme Hanging Drop de capteurs capables de mesurer les produits métaboliques dans les gouttes. Il devrait ainsi être possible de lire des données en continu. Les capteurs mesurent par exemple le lactate ou le glucose. "La fabrication de la puce devrait certes être un peu plus coûteuse en raison de l'intégration des capteurs, mais une telle plate-forme nous fournit nettement plus d'informations", explique Andreas Hierlemann.

Référence bibliographique

Frey O, Misun P, Fluri D, Hengstler J, Hierlemann A : Réseau microfluidique reconfigurable de drops suspendus pour l'interaction et l'analyse multi-tissus. Nature Communications 5, Article number:4250. Publication en ligne du 30 juin 2014. DOI :page externe10.1038/ncomms5250

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