Percer le secret des plantes

Les plantes peuvent convertir la lumière du soleil en énergie chimique avec une grande efficacité. La manière dont elles y parviennent n'a pas encore été élucidée à ce jour. Des physiciens de l'ETH ont désormais construit un modèle de physique quantique qui devrait permettre de répondre à cette question.

Vue agrandie : image d'un circuit à trois qubits permettant de simuler la conversion de la lumière. Les trois qubits (en rouge, bleu et vert) collectent le rayonnement micro-ondes provenant du guide d'ondes violet. Grâce au signal de bruit introduit par les lignes d'alimentation roses, l'énergie est transportée vers le résonateur de sortie. (Image : ETH Zurich, Quantum Device Lab, A. Potočnik)
Circuit de simulation de la conversion de la lumière : trois qubits (rouge, bleu et vert) collectent le rayonnement micro-ondes du guide d'ondes violet. Grâce au signal de bruit introduit par les lignes d'alimentation roses, l'énergie est transportée vers le résonateur de sortie. (Image : ETH Zurich, Quantum Device Lab, A. Potočnik)

La chlorophylle est la molécule décisive. Grâce à ce pigment vert, les plantes parviennent à convertir directement la lumière du soleil en énergie chimique. Aujourd'hui, tous les meilleurs manuels de biologie expliquent comment, à l'aide de la lumière, la molécule ATP, élément central de l'approvisionnement énergétique des plantes, est produite dans les cellules végétales. Et pourtant, ce processus reste une énigme pour la science. C'est surtout la grande efficacité avec laquelle les plantes transforment la lumière du soleil qui étonne les chercheurs.

Des mondes opposés

Différentes expériences menées ces dernières années indiquent que les effets de la physique quantique jouent un rôle important dans la transformation de l'énergie. Grâce à ces effets, l'énergie captée par les molécules de chlorophylle peut être transférée sans grandes pertes là où l'ATP est formé. "Nous sommes dans une situation paradoxale", explique Anton Potočnik, postdoctorant dans le groupe d'Andreas Wallraff au Quantum Device Lab du Département de physique. "D'un côté, les effets de la physique quantique marquent les événements, de l'autre, la photosynthèse se déroule dans un environnement aqueux et chaud où les règles de la physique classique s'appliquent".

C'est pourtant dans cette apparente contradiction que pourrait se trouver la clé : Plusieurs modèles théoriques soutiennent l'hypothèse selon laquelle c'est justement l'interaction de ces deux mondes qui explique la grande efficacité de la photosynthèse. Il n'a toutefois pas encore été possible de vérifier expérimentalement si c'est effectivement le cas.

Un modèle composé de trois qubits

C'est précisément cette lacune que Potočnik vient de combler en collaboration avec Arno Bargerbos et ses collègues chercheurs. Comme il l'explique dans le dernier numéro de la revue page externeNature Communications rapporte, il a développé, en collaboration avec des scientifiques de l'Université de Cambridge et de l'Université de Princeton, un dispositif expérimental permettant de vérifier expérimentalement les différents modèles théoriques.

Il s'agit d'un système quantique simple, entièrement contrôlé, qui reproduit à l'échelle du modèle une structure fondamentale telle qu'elle existe dans les cellules végétales. Son cœur est constitué de trois bits quantiques supraconducteurs (qubits), couplés entre eux à des degrés divers. Ils représentent des molécules de chlorophylle qui absorbent l'énergie lumineuse et la transmettent au complexe d'enzymes formant l'ATP.

"Notre dispositif expérimental fournit des aperçus précis de la manière dont la lumière est convertie en énergie chimique, car nous pouvons agir de manière ciblée sur les différents paramètres", explique Potočnik. "Cette compréhension est importante, car elle pourrait contribuer à ce que la lumière soit à l'avenir convertie en électricité dans les cellules photovoltaïques de manière plus efficace qu'auparavant".

Tout dépend de l'oscillation

Les expériences de Potočnik confirment l'hypothèse selon laquelle les oscillations naturelles des molécules de chlorophylle jouent un rôle central dans le transfert d'énergie. En fonction de la vitesse à laquelle les molécules se déplacent, l'énergie est transportée plus ou moins efficacement.

Avec les trois qubits couplés, les scientifiques ont développé un arrangement qui ne reproduit toutefois que de manière rudimentaire les conditions réelles dans les cellules végétales. "Maintenant que nous avons pu démontrer, en principe, que notre système reproduit les processus de manière réaliste, nous prévoyons, dans une prochaine étape, de construire des systèmes plus complexes avec davantage de qubits, afin de percer enfin le mystère de la photosynthèse", explique Potočnik.

La physique quantique au quotidien

L'approche expérimentale des chercheurs pourrait également apporter de nouveaux éclairages dans d'autres domaines. Les scientifiques supposent par exemple que notre sens de l'odorat repose lui aussi sur une combinaison de physique quantique et de physique classique. En effet, la physique classique seule ne permet pas d'expliquer pourquoi nous sommes capables de distinguer autant d'odeurs. "Il serait désormais possible de vérifier expérimentalement si c'est le cas avec un modèle comme le nôtre", explique Potočnik.

Référence bibliographique

Potocnik A, Bargerbos A, Schröder F, Khan SA, Collodo MC, Gasparinetti S, Salathé Y, Creatore C, Eichler C, Türeci HE, Chin AW, Wallraff A : Studying Light-Harvesting Models with Superconducting Circuits. Nature Communications (2018). doi : page externe10.1038/s41467-018-03312-x

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