Tout le monde devrait avoir à se prononcer

La bioéthicienne Agata Ferretti écrit qu'un passage à la solution de l'opposition au don d'organes permettrait sans doute d'augmenter le taux de don d'organes. De son point de vue, il existerait toutefois une solution encore meilleure : l'obligation de décision.

Agata Ferretti

En Suisse, la solution du consentement ("système opt-in") s'applique actuellement au don d'organes. Actuellement, les organes ne peuvent être prélevés sur des personnes décédées en vue d'une transplantation que si ces personnes ont consenti de leur vivant au don d'organes ou, en l'absence de consentement explicite, si des proches déclarent que le don d'organes correspond à la volonté présumée de la personne décédée. Bien que, selon de récents sondages, la grande majorité (près de 80%) de la population suisse soit favorable au don d'organes, dans la réalité, le nombre d'organes et de tissus donnés est loin de correspondre aux besoins des receveurs d'organes.1.

L'une des raisons est que la majorité de la population ne manifeste pas sa volonté de faire un don de son vivant. Les membres de la famille doivent alors assumer la responsabilité d'une telle décision. Dans une telle situation de grande charge émotionnelle et souvent sans connaître exactement la volonté du défunt, les membres de la famille ont tendance à refuser de donner leur consentement au don - éventuellement différent des souhaits de la personne décédée.2.

La page web du registre national des donneurs d'organes est lue par une personne.
Dans l'idéal, chaque personne devrait consigner sa décision de faire ou non don de ses organes après sa mort. En cas de décès, cela soulagerait les proches. (Image : Keystone-SDA)

Afin de promouvoir le don d'organes et de combler le décalage supposé entre les souhaits des personnes décédées et les décisions de leurs proches, le conseiller fédéral propose de faire évoluer le système de don d'organes d'un système d'opt-in à un système d'opt-out, dans lequel les personnes vulnérables restent protégées de l'exploitation.

Solution d'opposition dans la plupart des pays européens

Dans le système opt-out (la solution d'opposition), le consentement de la personne décédée est l'option par défaut. Une personne est supposée consentir au don d'organes, à moins qu'elle n'ait exprimé son opposition de son vivant. Selon la proposition sur laquelle nous voterons le 15 mai, les Suisses âgés de 16 ans et plus seront invités à réfléchir activement et à inscrire dans un nouveau registre national s'ils souhaitent ou non faire don de leurs organes après leur mort.

Pour pallier le risque que des personnes (par exemple vulnérables) ne soient pas suffisamment informées de la possibilité d'enregistrer leurs volontés, malgré des campagnes d'information intensives, les proches conservent la possibilité de signaler les souhaits du défunt. Si une personne décédée n'a pas inscrit sa volonté dans le registre national et qu'aucun membre de sa famille n'est joignable, aucun prélèvement d'organes n'a lieu.3.

La plupart des pays européens appliquent déjà le système de l'opt-out. C'est le cas par exemple en Espagne, le pays où le taux de don d'organes est le plus élevé au monde.4. En 2020, l'Angleterre, l'Écosse et les Pays-Bas sont passés de l'opt-in à l'opt-out.5,car le système "opt-out" semble garantir un taux de don d'organes plus élevé que le système "opt-in".6.

"D'un point de vue éthique, les deux systèmes peuvent être critiqués".Agata Ferretti

Malgré ce constat encourageant, je suis d'avis que tant le système suisse actuel d'opt-in que le système d'opt-out proposé au choix présentent des inconvénients. D'un point de vue éthique, les deux systèmes peuvent être critiqués : En fin de compte, aucun des deux ne garantit que les souhaits de l'individu soient respectés dans la pratique. En l'absence de volonté claire de la personne décédée, les deux modèles transfèrent la responsabilité de la décision à des tiers (membres de la famille ou professionnels de la santé appliquant la loi fédérale).

Le changement d'avis doit rester possible

Un troisième modèle aurait ici des avantages : une obligation de décision ("mandatory choice")7. J'imagine ainsi que chaque Suissesse et chaque Suisse serait appelé à se prononcer pour ou contre le don d'organes. Les gens seraient obligés d'inscrire leur volonté dans le registre national, par exemple lorsqu'ils atteignent l'âge de seize ans (pour les citoyens) ou lorsqu'ils demandent un permis de séjour (pour les étrangers).

Certains pourraient objecter que, vu la complexité du sujet, les gens ont besoin de temps pour y réfléchir et prendre une décision éclairée. Je suis d'accord avec cela. Le sujet est difficile, et reporter la décision peut sembler être la solution la plus simple.

Néanmoins, il faut garder à l'esprit que repousser une décision jusqu'à ce qu'il soit trop tard est aussi une décision. Rester indéfiniment indécis sur une telle question signifierait que nous nous dérobons à notre responsabilité d'individus de faire partie de la société et d'y jouer un rôle actif (par exemple en nous aidant mutuellement). En outre, cela entraînerait une pression injuste sur les membres de la famille et les aidants. En fin de compte, ils porteraient le fardeau de prendre une décision en notre nom, alors que ce n'est pas leur rôle de le faire.

Une obligation de décision ne signifierait pas non plus, à mon avis, que cette décision est gravée dans le marbre. Les personnes changent au cours de leur vie, tout comme leur vision du monde et leurs souhaits pour elles-mêmes. Il est donc important d'offrir aux gens différentes possibilités de s'informer sur le don d'organes et éventuellement de changer d'avis.

Quel que soit le modèle choisi par un pays pour réglementer le don d'organes, l'information du public revêt une importance capitale. La Suisse devrait donc investir massivement dans des campagnes d'information publiques et des activités de sensibilisation dans les écoles professionnelles et gymnasiales. En outre, les donneurs potentiels devraient être ciblés et il devrait être aussi facile que possible pour tous d'exprimer leur volonté de donner leurs organes, par exemple en demandant un permis de conduire ou le renouvellement d'une carte d'identité, en remplissant un testament de vie ou en présentant une carte de donneur. Tout cela est important pour aider les gens à prendre cette décision importante.

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